6 mars 2021

Comment améliorer le fonctionnement de sa mémoire

Par Autodidacte

S’il y a bien une ressource utile pour cheminer sur un processus d’apprentissage, c’est le précieux mécanisme de mémoire. Bien des penseurs se sont penchés sur la question. Ce n’est pourtant pas dans les recherches récentes qu’on trouve le plus d’efforts, ni de pistes pour améliorer la capacité de rétention de notre cerveau. 

Il faut pour cela remonter plus loin, s’intéresser à une période où les appendices mémoriels ne pullulaient pas et où l’acquisition du savoir s’accompagnait de la capacité à le retenir en soi, dans sa mémoire. Pour maitriser un ouvrage, s’exprimer doctement sur un sujet, mais également déclamer un discours politique, réaliser un prêche religieux, ou encore réciter des poèmes, il fallait puiser dans sa mémoire.

Dorénavant, à portée de main, se trouvent des petits appareils intrusifs qui peuvent capter plus qu’à satiété la lumière et le texte pour sauvegarder en quelques instants des quantités phénoménales d’informations. Le moindre téléphone portable « intelligent » d’aujourd’hui contient au bas mot — certes en format dématérialisé — de quoi remplir plusieurs bibliothèques d’Alexandrie une fois converti en texte papier. 

Des trésors d’information et de stockage pour lesquels Benjamin Franklin se serait damné, lui qui inventa la première bibliothèque mobile des États-Unis d’Amérique (une révolution pour l’époque). Dans ce contexte on comprend mieux pourquoi nos efforts de recherches ne se tournent plus vers la compréhension et l’extension de notre capacité mémorielle. Tout se passe comme si, les capacités de stockage externe s’étant démultipliées, on pouvait faire fi de mieux comprendre et développer notre propre réservoir d’informations.

Il est bien souhaitable qu’on n’ait plus besoin de recourir au bourrage de crâne d’un apprentissage par cœur systématique, ni qu’on ait plus constamment la frayeur de perdre des quantités importantes de recherches, de travail, de réflexions ou d’arts parce que ces possibilités de rétention existent. C’est aussi très appréciable de savoir que la moindre inspiration qui nous passe par l’esprit peut facilement être capturée avec fiabilité dans un bloc note virtuel. Est-ce à dire pour autant que nous n’avons plus besoin de mémoire ?

C’est un raccourci inconsidéré. En situation de crise ou d’urgence lorsque les accès à ces moyens externes de stockage sont restreints ou inexistants, que fait-on ? Même chose en cas de défaillance ou de saturation ? Plus probable encore, lorsque nous n’avons pas le loisir de présenter à un auditoire du contenu enregistré mais que tout l’intérêt de notre intervention est de proposer une réflexion agile qui se fonde directement sur nos savoirs, la pertinence de ces supports diminue. C’est alors notre capacité à puiser directement dans notre mémoire et à en proposer une recombinaison unique qui représente la valeur ajoutée de notre intervention. Un effort de mémoire qui remanie les savoirs de manière originale peut devenir un trait de pensée éclairant pour les autres. Plus crucial encore, lorsque ces appendices sont interdits, en situation d’épreuve par exemple, pour un diplôme, pour un concours, pour un emploi, il s’agit de justifier de ses capacités et de ses connaissances propres, où sont donc passés les bénéfices de tous ces artifices de mémoire ? 

C’est en nous même qu’il faut alors puiser et là, la quantité astronomique de ce qui nous manque n’a d’égal que l’infini silence qu’ils peuvent nous renvoyer une fois éteints. C’est un peu le même principe qui prévaut dans toute optique d’apprentissage, s’il est très utile d’avoir si rapidement accès à une telle étendue de support, quand vient le temps de vraiment les maitriser et de savoir les retenir en soi, les bons vieux arts de mémoire refont surface.


Ils existent depuis des millénaires. Il suffit de se replonger dans une époque qui ne disposait pas de ces mines d’informations portables pour les retrouver. Depuis l’antiquité des orateurs, des poètes, des politiques, des chefs de guerre, des religieux ont consignés d’abord dans leur esprit des montagnes de savoirs. Comment Cicéron déclamait ses discours ou ses beaux poèmes ? La légende fait d’ailleurs remonter au poète Simonide de Céos la primeur de l’usage d’une technique de mémoire. J’ai trouvé cette belle histoire dans une première somme très intéressante sur la mémoire: l’art et la manière de se souvenir de tout (Foer, 2012).

À la suite d’une grande réception dans un temple où il s’absente pour recevoir un message, le reste des convives finit broyé par l’effondrement du toit de l’édifice tandis qu’il en réchappe par miracle. Pour aider les familles à retrouver l’identité des corps et honorer leur défunt, Simonide refait le parcours des lieux et resitue un à un les visages en s’appuyant sur le cadre mémoriel des lieux. La méthode des loci — dénommée palais de mémoire — est née. 

Les érudits antiques ont développé beaucoup de ressources pour améliorer sa mémoire. Leur besoin de savoir, de transporter et d’accéder à de grandes quantités d’informations sans artifice extérieur en a produit bien d’autres depuis. Jusqu’à l’avènement des livres dans le commun des foyers et dans le quotidien des étudiants, on peut dire que se cultivaient les arts de mémoires. C’est aussi une évolution pédagogique qui a permis de ne plus se reposer uniquement sur la mémoire.

Nonobstant ces gains, il est indéniable que mieux comprendre, remplir et accéder à sa mémoire est un impératif et une ressource pour quiconque veut améliorer son processus d’apprentissage. Des athlètes de la mémoire l’ont bien compris et organisent désormais des championnats de mémoire pour continuer de développer ces techniques et toujours améliorer notre plus grand capital évolutif : notre plasticité cérébrale.

Je vais donc examiner dans cet article les principales connaissances qu’il faut garder en tête pour mieux comprendre sa mémoire. Comment se passe l’inscription dans notre réseau de neurones ? Retient-on tout d’un bloc et uniformément, ou le processus paraît-il plus réticulaire et décousu ? Pourquoi semblons-nous dotés de peu de mémoire ou oublier beaucoup d’informations à peine les avons-nous consultées sous format écrit notamment ? Est-ce si grave d’oublier ? À quoi sert l’oubli ? Quelles sont les différentes formes de mémoires ? Comment les employer et les stimuler ? 


Comment mieux dialoguer avec sa mémoire ?

En première partie nous aborderons la compréhension du processus mémoriel (I), puis les moyens de mieux nourrir, entretenir et entrainer sa mémoire (II) enfin on se demandera comment produire des structures facilitant la réactivation de sa mémoire (III). 

I) À la découverte du continent de la mémoire

A) Les différentes formes de mémoire

Impossible de parcourir rapidement l’horizon de la mémoire sans ce rappel : il existe plusieurs formes de mémoires qui se sont développées pour répondre aux besoins les plus essentiels — fugaces comme durables — de nos capacités cognitives. La plus grande distinction concerne d’abord la mémoire à long terme de celle à court terme. 

Représentation schématique des formes de mémoire

Envisageons d’abord celle à court terme même si elle nous intéresse moins ici. On l’appelle également mémoire de travail. Elle est vitale et permet de retenir rapidement un nombre limité d’éléments (généralement autour de sept pour la majorité d’entre nous), on s’en sert pour retenir rapidement un numéro de téléphone ou quelques indications pour un chemin. Ce nombre sept est discuté mais à plus ou moins une unité près, il correspond à ce que le cerveau humain est capable de retenir dans l’instant et sans technique particulière pour employer ensuite ce contenu dans une tâche simple et proche dans le temps. Demandez-vous à partir de quand considère-t-on qu’un groupe de personnes devient une foule ? Généralement à partir du moment où il dépasse notre capacité de préhension mentale, environ sept (une notion appelée parfois empan mental, si vous allez voir du côté des ressources que propose Idriss Aberkane (2018) notamment son livre libérez votre cerveau. On le voit avec cette facette de notre mémoire qui ressemble à la mémoire vive d’un ordinateur, ou à la mémoire tampon, que l’on remplit vite et qui se décharge aussitôt, ce n’est pas notre cœur de cible. Bien que cruciale pour s’orienter, accomplir des tâches et retenir temporairement de faibles contenus, c’est un stade ultérieur dans le parcours de la mémoire qui est principalement concerné par l’acquisition de savoirs sur le temps long.

Dans le coin d’en face, on trouve la mémoire de long terme, celle qui va être la cible de choix pour développer nos capacités d’apprentissage. Elle se subdivise elle-même en deux grandes catégories la partie explicite et celle implicite. L’implicite recouvre toutes les fonctions qui ne sont pas directement accessibles par notre volonté, à l’image de mécanismes inconscients, qui sont opérés plus qu’on ne les opère. Il y a la fonction d’amorçage qui témoigne qu’un stimulus peut nous conditionner à réagir ensuite à une situation. 

C’est aussi et surtout la mémoire procédurale qui gouverne toutes les tâches de coulisses, tandis que l’on conduit et que l’on ne réfléchit même pas à passer les vitesses, ou encore lorsqu’on compose un numéro habituel ou que l’on tape sur un clavier sans avoir conscience du déplacement de nos doigts Le cœur de ce processus se déroule dans notre cervelet et le striatum. Ce sont des processus qui se sont désormais intégrés dans notre schéma corporel, ils ne consomment plus trop de ressources cérébrales pour s’accomplir et laissent notre conscience disponible pour effectuer d’autres opérations comme celles qui touchent à la mémorisation consciente de long terme.

On s’approche là du cœur de notre propos, avec d’une part la mémoire épisodique qui forme le socle de notre mémoire, les évènements et les lieux dont on va se rappeler et plus encore la mémoire dite sémantique, celle qui nous permet de mobiliser et de construire des éléments complexes à travers le langage. Elle permet ainsi de construire et de hiérarchiser des constellations de savoirs. C’est notre objectif premier : comprendre, exploiter et renforcer notre mémoire générale de connaissances sur le monde, son fonctionnement et son histoire. Ce processus se déroule principalement dans l’hippocampe et met en relation un système complexe d’acquisition mais plus encore de récupération d’informations.

B) Identifier les ressorts particuliers de sa mémoire

Au niveau physique, un souvenir se crée par la réaction biochimique d’un réseau particulier de neurones qui vont se connecter entre eux et former une trace unique, la trace mnésique. Cette partie s’appelle l’encodage, elle repose sur la mémoire de court terme qui va percevoir des stimulus et les transcrire en schéma neuronal de mémoire. C’est alors qu’entre en jeu la deuxième phase du processus, le stockage. Celle-ci s’effectue notamment pendant notre sommeil, le processus permet d’organiser et de conserver pour une utilisation ultérieure des souvenirs. Enfin, lorsque le besoin s’en fait sentir, nous passons par une phase de récupération pour accéder aux diverses toiles de neurones tissées pour fixer les souvenirs. 

Notre capacité d’encodage et de stockage est phénoménale, bien au-delà de ce que l’on se représente usuellement, on n’a généralement peu conscience à quel point le cerveau humain est une plateforme insatiable de lieux et d’images, jusqu’à 80% de notre mémoire perceptive serait d’ailleurs véhiculée sous cette forme. À celle-ci, il faut aussi ajouter les autres canaux de nos sens, olfactif, auditif, tactile et gustatif qui abreuvent notre cortex de stimuli à encoder. 

L’incroyable dans tout cela c’est que notre cerveau stocke une quantité astronomique de choses, mais que c’est surtout notre processus de récupération qui reste perfectible. Tout se passe comme si nous nous trouvions au-dessus d’un géant lac mémoriel, au-dessus, l’accessible dont nous avons conscience, sous la surface de l’eau, l’immense volume d’informations que nous avons perçu et stocké mais que nous n’avons pas suffisamment consolidé, relié à d’autres autoroutes mémorielles pour pouvoir y accéder. En développant ce processus de récupération il est donc possible de rendre opérationnel une quantité substantielle de souvenirs supplémentaires. 

Surtout si l’on prend conscience des différents mécanismes et vecteurs qui président au fonctionnement de notre mémoire. En particulier, le « câblage », les vecteurs de stimuliles types et moyens de stimuler la mémoire qui fonctionnent le mieux pour nous. Ainsi quelqu’un de kinesthésique devrait privilégier de la manipulation, du contact et du mouvement pour s’approprier une compétence, un procès ou un champ de connaissance. De la même manière, une personne plus visuelle doit privilégier les images pour ancrer puis tracer les routes vers sa mémoire. Une autre sensible au canal auditif se dirige vers les émissions et les programmes sonores, pour les cas moins courants et exploitables du goût et de l’odorat cela fonctionne aussi. 

Tout ce point sur les rouages de notre mémoire sert ce but, prendre conscience, reconnaître et intensifier les circuits de notre mémoire. Cela va permettre d’intervenir dans toutes les phases du processus pour accentuer et améliorer la retenue de contenus ciblés. Il s’agit donc de produire un socle plus ferme de mémorisation sur lequel peuvent en sus opérer les effets de diverses techniques de mémorisation et de récupération des informations stockées : les arts de mémoire.

II) Les arts de mémoire

A) Le palais de mémoire

J’ai déjà évoqué le plus ancien et certainement l’un des plus efficaces, le palais de mémoire. Il faut comprendre que notre cerveau est depuis des millénaires conditionné à évoluer dans un espace, un environnement façonné par des lieux et que pour y survivre le hasard et la nécessité ont privilégié la reproduction d’individus dotés des moyens de se repérer et donc d’incorporer très facilement des quantités considérables d’espaces remarquables. Ne dit-on pas d’ailleurs d’un endroit qu’il est un lieu de mémoire ? ou lorsque l’on veut ancrer pour des siècles l’héritage d’un évènement ou d’une tragédie qu’il faut en faire un lieu de mémoire ? C’est bien que ces deux éléments entretiennent des liens culturels mais également mnésiques forts. 


Dès lors, il faut commencer par cultiver des palais de mémoire, des lieux familiers encastrés dans nos plus tendres souvenirs d’enfance afin de servir de cadre et de décor pour les précieux souvenirs que l’on souhaite y accrocher. L’entrée va servir de premier item sur la liste, des points d’intérêts peuvent ensuite y être démultipliés pour classer des éléments assez similaires. L’endroit où l’on range ses clés dans l’entrée accueillera un premier élément de notre liste à retenir, celui où l’on dépose ses chaussures un deuxième, et le porte manteau un troisième. Ensuite on passe dans la cuisine par exemple et là sur une corbeille à fruit on dépose un premier item, dans le four un autre et sur la table à manger encore un nouveau et ainsi de suite.

Le plus crucial, une fois ce décor ancré et des points familiers associés, consiste à combiner le tout avec un autre ressort primordial de notre mémoire : la capacité à formuler et retenir des histoires. C’est un autre trait hérité de l’évolution humaine, l’histoire orale constitue l’une des premières tentatives de sauvegarde de toute culture. Bien avant les disques durs externes, la structure, les ritournelles et les éléments oraux instillés dans une histoire ont formé les précieux gardiens de toute la sagesse, l’esthétique et l’ingéniosité humaine. Il en va ainsi de la structure des premiers classiques de la littérature occidentales : l’Iliade et l’Odyssée étaient programmées pour être retenues et déclamées. Des personnages, des descriptions, des épithètes et des métaphores formaient autant d’images saillantes pour piquer et raviver les structures principales du message. Charge aux bardes et aux troubadours de recomposer une image unique et variable à leur guise qui permette de véhiculer les sagesses et les valeurs du récit principal. 

Ce processus a permis de transmettre pendant des siècles de précieux savoirs, des connaissances sur l’éthique souhaitable d’une civilisation. Les hauts faits des héros — des parangons de vertus et de comportements humains souhaitables sur lesquels modeler son image, on parlerait des « stars » ou des « athlètes » d’aujourd’hui — sont des moyens d’instruire et d’éduquer. Des millénaires plus tard, ils nous renseignent sur les traits caractéristiques et valorisés dans la culture qui a ainsi laissé ses traces. Les pouvoirs, les valeurs des Dieux dressent également un tableau dans ce sens. Leurs caractères et leurs techniques, leurs faiblesses et leurs limites transfèrent des leçons. Dans la mythologie — en kit à recombiner pour l’esprit créatif humain — se trouvent des mines de savoirs stratégiques, comme la ruse d’Ulysse, de l’expérience comme les vicissitudes et l’aspect formateur du voyage, la gloire et la tragédie de la guerre, la difficulté à gouverner, les risques de la rumeur (Cassandre), les risques de la jalousie et de l’orgueil (la pomme de discorde et le jugement de Pâris).  

Voilà, en quelques mots résumée la puissance mémorielle d’une histoire. Nos cerveaux sont pré-câblés pour les apprendre, les retenir et les formuler. C’est même l’une des fonctions qui s’améliorent avec l’âge. Certainement en lien avec le rôle de grands-parents : former la plus récente génération à la culture de son groupe. C’est dans cet esprit qu’il faut combiner la force de cette trame structurante avec les apports du système PAO : Personne Action et Objet.

B) Le système Personne Action Objet

Il repose sur les points forts qui animent toute histoire. Ils sont en outre très visuels et passent donc fort bien par le canal de l’image. En créant des mini scénettes structurées dans un palais de mémoire on rend accessibles et durables des souvenirs même abstraits, complexes et multiples. C’est tout l’art de la mémoire. Il revient à puiser dans son imagination pour transcrire de manière ludique et facilement enregistrable pour les circuits de notre mémoire des quantités importantes d’informations abstraites qui seraient insipides à la base. Soyez créatifs, devenez un grand chef, cuisinez vos savoirs pour les ancrer à jamais dans votre mémoire. Développez des histoires rocambolesques, plus elles seront obscènes, hilarantes et spectaculaires plus elles formeront de puissants sillons dans votre dédale mémoriel. Plus vous les réactiverez souvent, les entrelacerez avec d’autres chemins de votre mémoire, plus solides seront ces souvenirs et plus nombreux seront les voies pour y accéder.

C’est ainsi que pour retenir des jeux de cartes entiers, les champions de mémoires s’inventent des histoires peuplées de personnages, menant des actions loufoques avec des objets intrigants. Plus les images générées sont grivoises, drôles et spectaculaires, plus elles s’impriment avec facilité et profondeur dans la mémoire. J’ai par exemple entrepris d’apprendre la liste de tous les présidents français depuis la deuxième République. Il y en a à ce jour 25. Le premier était Louis Napoléon Bonaparte de 1848 à 1852. Je m’imagine donc un empereur qui joue au président avec deux chevaux marqués 48 et 52 dans de très beaux appartements (les fameux appartements de LNB qu’on peut visiter au Louvre). Le deuxième s’appelle Adolphe Thiers, qui présida de 1871 à 1873, je me représente donc un géant nombre 1 sur un pupitre qui déclame un discours politique avec un autre géant 3 sous le pupitre, cela forme un tiers et me donne des indices de récupération pour la date, 1871-1873 car je connais déjà facilement le cadre temporel de la IIIe République qui s’étend de 1870 à 1940. C’est la plus longue de notre histoire jusqu’à présent et il ne me reste plus qu’à placer les dizaines et les unités pour retracer les mandats successifs.

Il existe bien d’autres méthodes, comme le système majeur pour encoder, retenir et manipuler facilement des nombres de 0 à 99. Il s’agit de transcrire en lettre puis en syllabe ces éléments numériques pour les convertir en mot à combiner pour les retenir et se raconter une histoire pour manier les nombres concernés. Encore une autre déclinaison qui s’appuie sur les processus qui nous permettent d’alimenter et de structurer notre mémoire. Il faut l’abreuver d’histoires, un fil narratif rythmé par des actions, des objets et des personnes qui évoluent dans des décors familiers. Voilà donc le principal apport des arts de la mémoire, ils nous aident à comprendre pourquoi on se sent si déçu après avoir lu un texte composé principalement de symboles très réduits que l’on appelle des lettres qui se combinent pour faire des mots. Ils nous incitent à les transcrire et à les encoder sous d’autres formes pour rendre les informations bien plus pérennes dans notre esprit. Pour plus de détails sur ce système, allez voir le très synthétique livre de Sébastien Martinez, une mémoire infaillible (Martinez, 2016) dans lequel j’ai puisé également. 

Le processus de lecture implique des manipulations mentales complexes et abstraites qui ne sont pas propices à une mémorisation rapide et efficace. Les cas graves d’hypermnésie kinesthésique en témoignent. C’est le cas de ce fameux journaliste Solomon Cherechevski étudié par le psychologue russe Alexandre Luria. Il se souvenait de tout, parce qu’il transformait automatiquement ces informations en images, en textures et en formes particulières. Pour faciliter la mémorisation, Il faut traduire ces contenus en images frappantes, disposées sur un cheminement reconnaissable pour les réactiver plus facilement. Malheureusement pour ce journaliste, ce processus était chez lui si poussé que cela l’empêchait cependant de penser et de trier l’essentiel de l’oubliable. C’est à cette fin qu’il nous faut des concepts, des catégories et des réductions. Tout ce que nous permet l’oubli. Un oubli qui se combat en créant des cadres pour favoriser les mécanismes préinstallés dans notre mémoire.  C’est dans ce sens, qu’il faut avoir conçu le plus en amont possible des supports pour améliorer l’efficacité de votre mémoire.

III) Créer des supports propices à la mémoire

A) Penser des situations et des exercices dès l’amont pour la mémoire

Fort des divers principes que j’ai tenté de récapituler supra, il est donc intéressant pour stimuler sa mémoire et y ancrer les contenus de son choix de penser dès la phase de création d’un cours, d’un exercice, dans la rédaction d’un texte de synthèse, les éléments de manière à puiser dans les forces du processus de la mémoire. La stratégie peut même dépasser les simples révisions de cours à mémoriser, du savoir peut s’ancrer partout. On peut en faire un art de vivre chez soi, des décorations ludiques dans une école, des fresques, des graffitis et des hommages dans la rue pour cultiver l’Histoire et la culture. Je repense souvent à une visite qui m’a enchanté, celle de la distillerie HSE en Martinique. Chaque mur quasiment était paré des merveilleuses lettres du poète Édouard Glissant. Non seulement je me suis cultivé en effectuant cette visite avec plaisir mais j’ai en plus ancré des souvenirs et des contenus d’autant plus facilement qu’ils s’accordaient aux mécanismes qui président à former des souvenirs et à retenir du contenu dans notre mémoire. Les trois niveaux s’entrelacent ici, des lieux qu’on rend plus mémorables, des écrits qui fixent l’attention et profitent du cadre pour être retenu. Le tout formant un bel écrin pour l’art, le plaisir et la mémoire. 

Cultivez donc les ressources que vous voulez apprendre sous cet angle. Si vous faites des fiches de synthèse, essayez de les prévoir avec des citations courtes qui résumeront les grands axes du travail à retenir. Si vous voulez apprendre une théorie, employez la méthode érudite et allez chercher des éléments sur la vie de son auteur, son visage, son lieu de naissance, les lieux qui l’ont imprégné, les maitres à penser qu’il a eu, les sources qui l’ont influencé… Même chose pour fixer des notions abstraites comme le concept d’institution. Difficile à expliquer précisément et à cerner de prime abord. Il faut revenir par exemple à son étymologie pour s’en sortir : instituere est emprunté au latin et signifie, placer dans un lieu, établir officiellement, fonder durablement, entamer un premier acte qui devient une habitude… Voilà déjà un premier appui, si vous voulez ensuite puiser dans les images, figurez-vous un temple antique, avec ses longues et lourdes colonnes qui écrasent le sol et ancrent l’ordre des choses selon le règlement et les valeurs que cet édifice consacre. Pensez aux institutions politiques, toutes dans le style néo-classique qui puisent dans ce langage architectural pour signifier aux usagers comment ils sont gouvernés. 

Même chose pour apprendre à d’autres des savoirs, usez de ces mécanismes en prévoyant des enchainements de leçons qui concerneront d’abord des bouts d’un tout, qu’il faudra assembler ensemble ensuite, puis manipuler et tordre dans un autre sens, percevoir sous un angle, puis un autre et essayer de restituer en se racontant une histoire différente mais au fond toujours avec le même message final. Les mythes et la force des métaphores sont pour cela incomparables. Usez-en sans relâche et bientôt la force pédagogique de leur emploi pour retenir des contenus se fera sentir. Il y a bien une part de répétition dans toute pédagogie et c’est sur ce point que l’on clôture ce tour d’horizon.

B) S’exposer régulièrement à des supports et des environnements favorisant la mémoire

C’est un autre axe à continuellement creuser, démultiplier les occasions d’exposition à un savoir. Encore une fois, plus l’on multiplie les voies et les nombres de chemin qui structurent un souvenir, un contenu qui nous intéresse, plus les autoroutes neuronales renforceront la trace mnésique. Cela multiplie aussi la chance de varier nos niveaux d’attention à la chose ciblée. Or, un autre savoir sur le fonctionnement de notre mémoire, nous indique que plus on est concentrés et attentifs à un élément, plus on a de chance de l’engraver dans notre mémoire. Fabien Olicard (2018) le rappelle de son ouvrage votre cerveau est extraordinaire, pour apprendre rapidement le prénom du plus grand nombre de personnes que vous croisez, concentrez-vous sur le prénom, visualisez le visage de la personne, essayez de le raccrocher à une impression, un trait loufoque, remarquable et dominant, répétez le dans votre esprit plusieurs fois et vous aurez plus de chance de vous en souvenir. 

Une véritable qualité de leader, celle de se souvenir du prénom de tous ses interlocuteurs, on dit de LNB qu’il excellait dans cet art, Napoléon aussi était connu pour sa mémoire eidétique qui lui servait sur le champ de bataille autant que pour reconnaître ses grognards. En tant que professeur, un levier privilégié pour capter et récupérer l’attention dans une classe, passe par l’apprentissage rapide de tous les prénoms des enseignés. Dans toute situation sociale de toute manière vous gagnerez à retenir et à employer ce qui flatte le plus facilement l’ego d’autrui : l’emploi du seul et unique mot dédié à désigner leur personne. 

Chez soi cela passe par exemple par remplir des endroits dans lesquels vous pouvez passer du temps tranquille — les toilettes, la salle de bain, la buanderie — de contenus cibles, disséminer de l’art et des savoirs sur des posters, des fiches ou des œuvres d’art. Un tableau à analyser sur le mythe de Pygmalion, une frise qui décompose une chronologie, un texte avec des visuels pour imprimer son essence, des généalogies avec des visages, une fiche pour apprendre l’anglais avec des objets représentés… Tout cet ensemble forme un continuum d’apprentissage qu’on peut répartir dans son espace familier et fondre dans sa décoration de tous les jours. Être entouré par des livres — la chaleur d’une bibliothèque qui vous invite à lire — vous rappelle les titres et les symboles de vos ouvrages préférés, cela contribue aussi à s’exposer fréquemment à du contenu ciblé. 

En voiture on peut écouter des podcasts, des émissions de culture, préparer des playlists dans une langue que l’on aimerait apprendre afin de se familiariser avec les intonations et les mots de cette autre manière de dépeindre le monde en pensée. L’important c’est de toujours allier, plaisir, créativité et stimulation pour ancrer des savoirs, vos neurones vous en sauront gré et pour le cas de la musique ou d’une seconde langue, leur réseau deviendra même plus résistant à la dégénérescence et aux risques d’une maladie comme celle d’Alzheimer. 

Au total, on n’oublie pas le par cœur, la répétition, l’exposition en toute occasion, le travail régulier, les efforts accumulés… mais aussi le plaisir qui doivent régner dans un processus d’apprentissage afin de favoriser les mécanismes qui structurent notre mémoire.

Elle reste le plus humain et ancestral instrument cérébral, siège de notre identité — ce qui reste de nous tandis que d’autres parties changent — c’est le support vivant et enrichi des histoires qui ont permis de transmettre des civilisations entières. Ce qui n’est pas partagé est perdu, et ce qui n’est pas retenu tombe dans l’oubli. Bien des cultures sont malheureusement tombées dans l’angle mort de l’Histoire faute de moyens mémoriels pour transmettre et retrouver leur lumière, leur beauté et leur sagesse.

Toutes les manières humaines de laisser une marque sur la nature — de l’originel trace de main dans la caverne au plus sophistiqué art contemporain d’aujourd’hui — en contiennent, l’une des saveurs de nos vies consistent à en explorer la myriade infinie. Comment mieux faire cela qu’en apprenant la langue de la culture cible ?

Ce sera l’objet d’un autre article pratique.

En attendant à vous de partager, quels sont vos moyens pour cultiver votre mémoire ? et y puiser quotidiennement son incroyable pouvoir : retenir pour le futur les merveilleux cadeaux du passé.

ABERKANE I. 2018, Libérez votre cerveau, Paris, Pocket.

FOER J., 2017, L’art et la science de se souvenir de tout, Paris, Flammarion.

MARTINEZ S., 2016, Une mémoire infaillible, comment briller en société sans son smartphone, Paris, Le livre de poche.

OLICARD F. 2018, Votre cerveau est extraordinaire, 50 astuces de mentaliste qui vont vous changer la vie, Paris, First.