Comment accélérer l’apprentissage d’une nouvelle langue ?
Cela fait longtemps que je voulais m’atteler à transmettre ce petit bagage. L’assortiment d’astuces que l’on se constitue le long du chemin d’apprentissage d’une autre langue.
Il s’agit d’un véritable voyage, et pas des moindres, un très beau déplacement qui permet de se décentrer. Chaque nouvelle langue, contient tout un univers de sens, une manière unique de percevoir, de décrire et de s’approprier le monde. En bon peintre du réel, cela revient à disposer d’une palette supplémentaire de couleurs pour représenter tout ce qui nous entoure.
Apprendre une nouvelle langue offre la possibilité d’entreprendre un tel périple. On en apprend beaucoup sur soi et sur les autres. Il faut se remettre en question, questionner les schèmes que l’on utilise dans sa grammaire habituelle, se confronter à une logique divergente pour créer des catégories, structurer la pensée, décrire l’action, exprimer les sentiments ou percevoir le temps ou l’espace.
Une fois avancé sur ce parcours, toute la richesse de la lecture dans une autre sphère culturelle s’ouvre à l’explorateur. Les livres sont des autoroutes de la pensée qui nous exposent à la réflexion et à la sensibilité des esprits parmi les plus brillants que la terre a porté. Voici donc la chance de s’instruire auprès d’autres écoles de pensée pour amplifier son assise intellectuelle et la variété de ses références. Explorer une langue étrangère constitue un moyen puissant et direct pour entrer dans le substrat d’une autre culture, autrement dit, dans une manière unique d’exprimer à travers l’art une marque de son humanité, de laisser une trace de son passage dans la nature pour la postérité.
Dans les arcanes du langage se lovent ainsi toute l’épaisseur d’une culture, avec ses traits particuliers, sa manière de voir le monde et de le transformer. C’est également une porte ouverte pour se renouveler. Forger un autre pan de sa personnalité, une culture habille toujours son langage de ses valeurs, elle aura ainsi pour effet d’apprendre à être plus diplomate, plus pragmatique, plus nuancé ou plus expressif, inventif…
À travers la découverte du fonctionnement d’une autre langue, on peut ressentir certaines spécificités culturelles imprégnées dans leur matrice : la multiplicité des formulations françaises, le rythme et la passion d’un dialogue en espagnol, le pragmatisme et la vivacité de la langue anglaise ou encore l’organisation et la fonctionnalité du japonais.
C’est sur cette base qu’on peut s’appuyer pour développer un masque de plus dans la panoplie de nos visages, s’exprimer avec les mots d’une autre langue permet de développer un autre personnage, enrichir sa personne. Entendue comme le per sonare, il s’agit de l’interface sociale pour se faire entendre. Elle ressort un peu différente, teintée des particularités de ce langage au cours d’un tel exercice. On verra d’ailleurs que cela peut s’avérer bien utile pour accélérer l’apprentissage, car on peut s’autoriser à occuper une autre identité. Comment trouver dès lors les meilleurs procédés pour s’approprier une autre langue ?
On commencera par l’importance de considérer la valeur, l’utilité et l’apport d’un tel apprentissage de la langue cible (I), afin de stimuler sa motivation et son endurance sur ce long chemin. Ensuite, on montrera qu’il faut dépasser la honte pour libérer son potentiel à faire des erreurs et donc des progrès (II). Enfin, on verra qu’il est utile de s’exposer à des relais familiers et bienveillants pour soutenir son apprentissage (III).
I) Augmenter la valeur de la langue cible
A) Les débouchés concrets
Un point essentiel pour assurer sa progression dans une langue cible, consiste à identifier les gains potentiels à la clé au cours de ce cheminement. Il faut discerner toute la valeur de l’acquisition d’une nouvelle langue. Pour cela on peut mesurer le réservoir de locuteurs avec lesquels on pourra désormais échanger. Pour l’anglais c’est assez manifeste, il s’agit de la langue la plus parlée dans le monde avec environ 1,2 milliard de locuteurs recensés selon l’Ethnologue en 2020. Si on prend le pourcentage de contenu accessible sur internet, là aussi, son poids est écrasant, environ 56% du contenu en ligne est en langue anglaise selon le Internet world stat. C’est donc tout un courant d’informations supplémentaires auquel accéder.
Dans la même veine, on peut augmenter la valeur de cette compétence et donc sa motivation pour elle en apprenant le nombre de pays que l’on va pouvoir visiter. Devenez hispanophone, un continent quasiment entier s’offre à vous, 21 pays désignent comme langue officielle l’espagnol, ce qui représente 475 millions de locuteurs selon les estimations de l’ONU en 2019. Des plages d’Acapulco à la terre de feu en Patagonie, vous pourrez dorénavant explorer et vous faire comprendre. On n’oublie pas la Guinée Équatoriale en Afrique et les États-Unis dont trois de ces états fédérés imposent la traduction de tous leurs actes officiels en espagnol.
D’un point de vue professionnel, dans n’importe quelle carrière, le fait de maitriser une langue supplémentaire de travail représente un avantage, cela démultiplie vos prospects ainsi que vos perspectives d’embauche. Songeons une fois de plus à l’anglais, vos employeurs potentiels sont décuplés. Un marché en croissance comme celui de la Chine dispose aujourd’hui d’environ 1,1 milliard de locuteurs mais avec une base bien plus de large de natifs (921 millions contrairement à l’anglais qui est plus une seconde langue avec seulement 369 millions de locuteurs natifs et 898 millions de personnes la pratiquant comme une seconde langue). Voilà autant d’opportunités supplémentaires pour faire affaire, trouver des fournisseurs ou des débouchés en maitrisant le véhicule principal de la pensée mais aussi de la sympathie humaine : notre langue. On peut bien évidemment se passer d’apprendre la langue d’un autre pour commercer avec lui, fort heureusement pour les échanges mondiaux, qui se verraient drastiquement réduits si ce n’était pas le cas. Cependant, qui n’a jamais ressenti l’aisance supplémentaire à interagir avec autrui lorsque l’on découvre le partage d’une langue maternelle, ou d’un patois quelconque, cela créé rapidement un lien de proximité, c’est un accélérateur de confiance. Une langue partagée c’est un patrimoine de sens en commun ; l’apprentissage progressif d’une manière unique de converser et de décrire le monde permet cela. On touche là à une deuxième dimension essentielle dans la motivation pour l’apprentissage d’une langue, la richesse artistique et culturelle qu’elle renferme.
B) L’apport artistique et culturel
Entamer l’apprentissage d’une langue différente de la sienne invite à découvrir les supports historiques, artistiques et culturels qui ont jalonné son évolution. Dans les expressions, dans les symboles charriés par la langue (la signification assignée à telle couleur, la manière d’exprimer ou de taire le genre, le statut social, les rapports entre génération) et dans les traits d’esprit qui permettent de construire sa conjugaison, se cachent différents trésors. Celui de découvrir tout un patrimoine, une relation au beau, à l’architecture, à l’Histoire. Comment telle référence sert de parangon pour exprimer telle situation (« il se prend pour Napoléon », « On n’est pas à Versailles ici », « Parisien tête de chien, Parigot tête de veau », tous ces concentrés en disent long sur notre centralisation, les rapports entre Paris et la province, ou l’importance de la figure du chef dans la culture française).
Il y a également cet or noir qui se conserve sur un papier auquel on va pouvoir accéder en original dans le texte, toute la littérature, la vision de la culture sur elle-même dont l’accès s’ouvre au fur et à mesure que nous avançons dans la maitrise d’une langue. On peut puiser dans ses textes les plus beaux comme les plus sacrés. Demandez à un spécialiste du droit parlementaire ou de la constitution d’un État de droit, la richesse que dégage la Magna Carta, la déclaration d’indépendance ou la Constitution des États-Unis, même chose pour la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, celle de l’ONU en 1948. Pouvoir la percevoir dans les termes exacts de sa matrice langagière constitue un bonus délectable.
On pourrait décliner la chose à volonté avec l’appréciation des voix originales : qui arrive à retourner au doublage obsessionnel français après avoir gouté à la version originale ? Les bonnes traductions et interprétations sont rares et sapent toujours une partie de la saveur originale. Même pour l’apprentissage d’un sport de combat, d’un métier, d’un art dont les techniques et savoirs faires seront transférés de manière privilégiée dans la langue d’origine. Il perdure une dimension irréductible à la traduction dans ses œuvres et savoirs.
Vivre une scène ouverte au théâtre dans la langue de Shakespeare, voir une pièce de Molière… cela va aussi dans ce sens, qui aurait d’ailleurs l’idée de traduire son chanteur ou sa chanteuse préférée en arabe, en anglais ou en espagnol, ce ne sera pas la même expression, on saisit tout de suite que le rendu souffrirait une grande perte, l’émotion, le timbre, la personnalité originale. Même si des traductions et doublages à succès existent, cela ne se fait pas dans la majorité des cas (l’exemple du titre de Claude François Comme d’habitude, reprise en anglais avec plusieurs glissements de sens par Frank Sinatra, cela requière des artistes de talents qui disposent de beaucoup de clés pour arriver à exploiter l’univers de base et en produire une adaptation intéressante dans un autre univers de sens).
Il est en de même pour connaître les hauts faits des femmes et hommes illustres qui ont forgé cette culture, les repères historiques qui rythment son histoire, les regards posés par ses penseurs sur les relations internationales, les conflits mondiaux, les inventions, les découvertes, les constructions du monde et de ses différents supports de représentation.
C) Les apports à son identité et sa personnalité
Tout cela réserve des mines de découvertes qui finissent par augmenter notre personnalité et nos savoirs. Une partie du génie d’une culture passe par son langage, elle se transmet comme une mélodie interne à la langue que de plus en plus de mélomanes se mettent à fredonner. En prenant part au chœur, elle déteint également sur nous. On regarde avec plus d’acuité les spécificités de notre langue (la tendance latine à tout structurer autour du genre, des choses aux idées en passant par les personnes, l’importance de l’être et de l’avoir dans la culture occidentale qui en a fait les deux supports indispensables de sa conjugaison pour tous les autres verbes, la première personne en anglais qui prend toujours une majuscule, comme pour singulariser l’importance du sujet).
On apprend à distinguer les tournures et les expressions qui nous sont propres et qu’il faut désamorcer pour s’inscrire dans la grammaire d’une autre langue (le français et les tournures générales, on, ou le réflexif pour noyer le sujet, ses formes en c’est, les gallicismes, garder un semblant de neutralité, les enjeux du vouvoiement qui se retrouvent dans l’utilisation des titres en anglais devant le patronyme des personnes).
Comment gérer les distances et la déférence entre les interlocuteurs est une grande partie de l’apprentissage de nombreuses langues. En japonais, la familiarité et la hiérarchie de la personne à qui l’on parle vont déterminer l’emploi de formes plus ou moins polies de conjugaison. Se diffusent ainsi par l’art de la communication, une représentation de la société et des valeurs qui gouvernent les rapports sociaux. À travers la langue c’est tout une manière de mettre en commun et d’instaurer un lien social qui s’offre à la découverte.
Quelle rigidité incorporée à la langue se présente, y a-t-il une académie centralisatrice pour sacraliser la langue comme en France, un rapport plus mouvant et créatif comme avec le Commonwealth ? L’histoire des expéditions, du parcours de la langue a aussi une charge culturelle importante.
Au niveau des individus cette histoire s’inscrit dans son accent, le forger, le faire changer revient aussi à pouvoir augmenter son interface sociale, son personnage. Capter les expressions typiques géographiques divulguera un peu de qui vous êtes, des milieux et groupes sociaux que vous avez côtoyés.
Il faut aussi se confronter à une autre mélodie dans la diction. Quel locuteur français n’a pas l’impression de chanter pour marquer les accents toniques anglais qui différent du registre plus plat de sa langue natale. Là aussi, il y a enrichissement par l’apprentissage d’une autre manière de faire et de s’exprimer.
C’est d’ailleurs sous cet angle que se présente un pan entier de l’enrichissement par l’acquisition d’une autre langue et surtout un deuxième ressort, accélérateur d’apprentissage : s’autoriser un autre moule pour fondre une nouvelle identité dans cette matière première différente.
II) Surmonter la honte pour s’autoriser à faire plus d’erreurs
A) Se forger un alter ego
C’est une clé souvent donnée par les professeurs de langue étrangères, pour mieux s’inscrire dans l’emploi d’une langue qui sonne différemment, qui exprime sous d’autres nuances les idées et les émotions, il est utile de se forger un autre personnage. Quoi de mieux pour ce faire que de changer l’intitulé du protagoniste. Il est de coutume de franciser un prénom, à l’inverse de convertir vers l’anglais un prénom français, de Pierre à Peter, de Juan à Jean… On pourra même étendre le choix en laissant libre à cours à la préférence des intéressés. Derrière cette modification de surface, se cache l’occasion réelle de faire bouger son identité et sa manière de la manifester.
Une dynamique qui passe notamment par le langage, le vocabulaire, l’intonation, les types de construction que cet habile subterfuge invite à investir et à renforcer. En adoptant un autre prénom pour pratiquer la langue, on consent à être perçu différemment, un peu plus à travers les yeux de la culture qui nous regarde. On se surprend à employer des tournures exogènes à nos structures de base, à adopter des raccourcis usuels dans ce champ culturel, comme l’usage très répandu des diminutifs dans la culture anglophone. Je suis ainsi devenu Val durant mes années d’études et de travail aux USA. Cela arrangeait beaucoup de locuteurs car mon prénom était peu commun et à la prononciation difficilement convertible. Cela m’a également facilité un léger décalage dans la définition de ma personnalité.
Je me suis aussi mis à utiliser des diminutifs, beaucoup d’expressions valise, de mot et verbe composés comme le véhicule la langue anglaise. J’ai aussi ressenti moins de gêne à changer mon phrasé sous cette identité légèrement étrangère. En bref je me suis hybridé en empruntant les sentiers d’une autre langue pour m’exprimer. Cette souplesse du changement d’identité constitue donc un important facilitateur d’apprentissage, il faut absolument le recommander à quiconque souhaite progresser plus vite dans l’acquisition d’une langue supplémentaire.
On peut en dire autant, des rythmes, du niveau de langage, de l’accent spécifique que l’on apprend. Ce léger décalage identitaire permet de forger un réceptacle plus propice à recevoir les atours nouveaux de la langue en héritage. Socialement, à la manière d’un enfant qui bâtit les contours de sa personnalité sur son prénom en découvrant par les autres son usage, on construit une partie plus fluide de son existence dans la langue d’acquisition.
En sus, cela forme le terreau d’un autre processus éminemment utile pour favoriser son apprentissage, le fait de s’autoriser à faire de nombreuses et fréquentes erreurs. Ici, se love également un autre réservoir d’apprentissage.
B) S’autoriser à ne pas aussi bien parler que dans sa langue natale
Cet alter ego charrie bien d’autres avantages. Outre proposer une scène pour un léger décalage et accueillir les spécificités de l’expression d’une nouvelle langue dans notre répertoire, cette identité supplémentaire augmente notre tolérance aux erreurs. Ce n’est plus Mathilde qui maitrise les bases de son système de communication transféré par ses parents et l’école, mais Maya, qui s’exerce à capter le plus habilement possible tous les schèmes de la langue de Cervantès. Il est donc normal dans le processus de construction de cette nouvelle capacité qu’elle commette beaucoup d’erreurs et surtout qu’elle s’autorise à les faire et à se faire corriger régulièrement par d’autres locuteurs.
Car il y a ici une grande résistance, un malaise social qui freine l’apprentissage des adultes dans l’acquisition de nouvelles langues, la peur de faillir face à une attente forte : un adulte se doit de maitriser les cadres du langage. Si l’on déroge à cette règle, une situation de minorité est redoutée. On trouve d’ailleurs dans cette attente, une partie de l’idée reçue selon laquelle les enfants apprendraient plus vite les langues que les adolescents ou les adultes. Il faut regarder la présentation Tedx éclairante de Gabriel Wyner à ce propos qui déconstruit certains de ces préjugés. Le temps d’exposition d’abord n’est pas comparable, entre un enfant baigné dans son giron culturel d’origine durant des dizaine de milliers d’heures et un adulte privé de cet environnement qui essaie de s’exposer à une seconde langue en quelques centaines d’heure. D’un point de vue neurologique ensuite, il y a certainement avec le stade d’explosion de l’apprentissage, une base plus fertile pour recevoir de nouvelles connexions. D’un point de vue auditif, de l’âge de six mois à un an, une capacité particulièrement finement à saisir et enregistrer les sons serait aussi à l’œuvre. Cela dit, ce n’est qu’une partie de l’explication.
Au moins une autre cause peut être mise au jour pour comprendre cette vitesse accrue d’apprentissage, celle qui a trait à la normalité pour un enfant de se faire corriger, de faire des erreurs et de ne pas être jugé ou de ressentir de la honte pour ces erreurs de langage. Prenons pour exemple un enfant en bas-âge qui se fait régulièrement reprendre par ses parents pour acquérir les automatismes du langage. Cela joue beaucoup dans l’apprentissage des tournures et du niveau de langage, mais aussi pour l’orthographe à l’écrit. Cela imprime en quelque sorte dès le plus jeune âge chez l’enfant une partie du mode automatique (qui signifie d’ailleurs un niveau de maitrise du langage, dénommé fluency en anglais, on ne cherche plus ses mots, il coule de sources) autrement dit, les schèmes d’utilisation de la langue sont si bien ancrés, répétés et incorporés dans nos réseaux de synapses qu’on fournit bien moins d’efforts pour les mobiliser.
Cela veut aussi dire qu’on n’a plus de temps de latence, de réflexion et d’effort cognitif pour composer notre partition dans cette langue, on s’exprime de manière aisée et courante (courant est d’ailleurs le terme retenu en français, on voit ici le débit prendre son importance). Cela évite la gêne de l’émetteur et du récepteur du contenu d’ailleurs. Car les temps de pause, de recherche, les tentatives d’aides et les impressions de minorité seront ainsi gommés, les interlocuteurs resteront sur un pied d’égalité (voir Goffman et l’importance de préserver la face). Ils pourront au contraire mutuellement se valoriser, l’un par la capacité démontrée à manier une autre langue, l’autre par celle d’apprendre et de partager des éléments caractéristiques de celles-ci à son interlocuteur. De ce dernier élément découle un autre accélérateur d’apprentissage : se trouver un interlocuteur bienveillant envers vous et qui va apprécier vous transmettre les secrets de sa langue.
C) Trouver un interlocuteur bienveillant
Je l’ai souvent entendu durant mon séjour aux USA en tant qu’assistant de langue au Center of Roman Languages dans le Massachusetts, la meilleure astuce pour apprendre une langue : find a lover. J’ai l’ai aussi retrouvée dans une vidéo Tedx sur les principes pour progresser plus vite dans une langue étrangère (Chris Lonsdale). Qui d’autre déploiera autant de patience, de bienveillance et d’affection pour vous laisser pratiquer vos faibles bases, supporter les erreurs de syntaxe, adapter son oreille à vos erreurs de prononciation, chercher à comprendre même votre vocabulaire approximatif et une conjugaison imparfaite. Le parallèle premier à venir est celui d’un parent pour son enfant. Dans la phase où un enfant babille, il commence à employer les schèmes de la langue sans parfaitement les respecter. Qui n’a pas déjà observé un parent se faire le décodeur des paroles déformées d’un jeune enfant ?
C’est le même processus qui était à l’œuvre avec ma famille d’accueil aux USA, durant les premiers mois où j’ai découvert ce pays et pratiqué pour la première fois l’anglais en situation d’immersion complète, ils étaient souvent mes traducteurs pour commander un menu, acheter un produit ou demander une information. Ils étaient devenus capables de compenser mes défauts d’utilisation du langage. Ils me servaient aussi petit à petit de modèle pour emmagasiner les moules tout fait, les expressions figées qui forment aujourd’hui un précieux réservoir pour mon oreille afin de distinguer les intonations, les emplois appropriés ou non de telle tournure ou telle expression. Je m’y réfère encore de manière quasi automatique pour m’exprimer en anglais.
Sans cette exposition, je n’aurai jamais cultivé ce stock réutilisable. Il s’agit donc d’identifier des personnes qui adopteront ce même rôle à la fois protecteur et émancipateur. C’est une sorte de protectionnisme linguistique. Avant de se lancer dans le grand commerce du langage, soutenir des échanges avec tous les interlocuteurs potentiels sur le marché d’une langue, mieux vaut renforcer ses bases en s’appuyant sur des piliers bienveillants. Ils vont nous faire gagner en automatisme et en confiance pour manier la langue de manière satisfaisante, on pourra ensuite poursuivre plus facilement son cheminement auprès de personnes moins disposées à supporter nos erreurs.
Le souci peut aller tellement loin, jusqu’à infléchir un peu leur accent de base pour se faire mieux comprendre des personnes en cours d’apprentissage. On le voit d’ailleurs chez les parents qui acquiescent avoir compris pour ne pas décourager les bambins mais reformulent aussitôt leur commande dans une langue plus proche du standard institué, afin encore une fois de faire passerelle, vers les formes de la langue socialement instituées.
On retrouve ici d’ailleurs une inégalité criante de tout système scolaire : une partie non négligeable du programme de base pour exploiter ses ressources se retrouvent ancré dans le giron familial et sa capacité à accompagner et développer le bon usage du langage (voir ce que parler veut dire et l’importance du capital culturel selon Pierre Bourdieu).
III) S’exposer régulièrement à cet univers de sens
A) Créer un environnement d’apprentissage
Il s’agit de l’élément le plus crucial, celui qui alimente le plus l’apprentissage de la langue cible, un environnement qui favorise l’exposition à ces facilitateurs d’acquisition du langage. Comme un nouveau-né, il faut s’exposer à une multitude de vecteurs pour s’immerger dans la langue cible. On peut penser à des pratiques répandues qu’il faut désormais approfondir. Dès l’âge de 15 ans, je me rappelle comment j’ai traduit avec appétence les textes de mon chanteur préféré sur les premiers sites de mise à disposition des paroles. Écouter et traduire des paroles de chansons est donc un moyen clé. En plus de mes cours d’anglais standards dans le système scolaire, je passais des heures à traduire les termes familiers, spécialisés, l’argot des chansons qui m’inspiraient le plus. Déjà, je ne restais plus béatement dans l’admiration d’un univers de sens que je ne comprenais pas, je pouvais désormais mesurer la virtuosité de l’usage des mots, la pertinence des images et du vécu convertis sous la forme musicale.
Cela avait pour autre avantage d’entrainer quotidiennement mon oreille à apprivoiser les mots et la prononciation de la langue cible. Ayant choisi un auteur célèbre de rap qui maniait un riche vocabulaire et plusieurs registres de la langue, je connaissais dès le lycée des termes vernaculaires, d’argots ou plus élaborés, ignorés parfois par mes propres professeurs. Surtout je renforçais par passion et sur mon temps hors classe des acquis du temps scolaire. On pourrait en dire autant à propos des séries et des livres qu’on choisit en langue originale. Ils exposent à l’imaginaire de la sphère culturelle explorée, ils imprègnent des valeurs et des normes qui ont cours dans cet autre univers de référence.
La France est devenue un des premiers pays consommateurs de manga au monde. Combien d’adolescents français se retrouvent inopinément passionnés et influencés par l’histoire, l’esthétique et l’échelle de valeurs japonaises après avoir dévoré de petits opuscules rectangulaires qui se lisent de droite à gauche. Qui veut parcourir plus vite la route de l’apprentissage d’une autre langue doit repérer ses vecteurs et les disséminer dans son environnement quotidien. Ils formeront autant d’appuis et de rappels des schémas à acquérir pour devenir efficace à répandre de la pensée dans une autre langue. En langue anglaise, les œuvres de Shakespeare sont souvent révérées pour leur force scénaristique, leurs personnages universels et les questions philosophiques profondes qu’elles mobilisent. D’un point de vue linguistique, c’est aussi une mine pour l’acquisition car il est considéré comme l’un des auteurs qui mobilisent la palette la plus richement diverse de sa langue natale, un vrai plus pour agrandir sa connaissance tout en se divertissant.
Dans le même registre, pour s’imprégner régulièrement d’une langue en phase d’acquisition, on peut modifier les paramètres de certains appareils électroniques pour acquérir le vocabulaire associé à cet univers. Depuis l’adolescence j’ai ainsi adopté la langue anglaise pour l’interface de ma boite mail, j’ai souvent joué à des jeux vidéo dans une autre langue, il est possible d’en faire de même avec son téléphone portable ou des appareils ménagers. L’ancrage dans des outils du quotidien vous aidera à vous familiariser plus vite avec des champs lexicaux nouveaux.
L’émergence des plates-formes de téléchargements a changé beaucoup de dimensions. Elles ont limité le nombre d’intermédiaires entre production et consommation et rendu possible d’accéder en un clic à une grande palette de projets venant de différentes sphères culturelles. Le format série a ainsi récemment pris une ampleur considérable. Sa logique itérative est une force pour soutenir l’apprentissage. Voilà encore une autre occasion d’en apprendre plus sur une culture cible et de s’approprier des références et des manières nouvelles de désigner les choses, les valeurs et les idées. La Casa de papel est un très bon moyen de se familiariser à la langue espagnole. Le meilleur équilibre est obtenu avec le visionnage en version originale en passant rapidement à des sous-titres dans une la langue cible. On peut même s’amuser à mélanger les trois niveaux, il m’est déjà arrivé de suivre des séries anglophones, sous-titrées en espagnol. Ce mécanisme s’appuie fortement sur l’apport que représente le fait d’entendre la mélodie d’un locuteur natif.
B) Choisir des modèles pour cibler les contenus idiomatiques
On retombe là sur un autre grand vecteur de l’apprentissage, le fait d’entendre et d’incorporer par mimétisme les schémas nouveaux à maitriser. Les bébés le font à plein régime en copiant leur entourage et leurs parents, les adultes peuvent puiser dans un cercle plus large. Profitez des cours en ligne, des nombreuses applications dédiées aux langues et des sites qui proposent désormais facilement d’entrer en contact avec des locuteurs natifs. Ce genre de programmes se présentent souvent sous forme de tandem, une partie de la séance dans une langue et l’autre dans celle d’origine. Je recommande vivement cet exercice que j’ai pratiqué pour la première fois en tant qu’assistant de langue aux USA. J’ai ainsi commencé le japonais et perfectionné l’espagnol avec des collègues de l’époque. Son approche duale enracine la grammaire cible et force à questionner les bases de sa propre langue pour expliquer à son camarade de fortune ses arcanes. Faute de mieux, des supports culturels dans des films, des séries, des livres peuvent servir de modèle pour améliorer son acquisition du langage.
L’idée est au fond la même, choisissez des modèles de personnes qui s’expriment avec clarté et maitrise dans leur langue maternelle, écoutez-les, reproduisez leurs intonations, la diversité de leur vocabulaire, les tournures de phrases, les moules et les schèmes les plus fréquents pour créer du sens. C’est un autre levier important d’apprentissage : les formules idiomatiques (du grec idiomatikos, qui est particulier à une langue). Il faut se les approprier pour croitre en maitrise dans une autre langue, les locuteurs natifs vous exposent à ce contenu plus précieux. Ce sont des tournures typiques et difficilement traductibles. Il faut cibler par ces interlocuteurs ce contenu de plus grande valeur. Cela augmentera votre apprentissage, votre vitesse à restituer des expressions et la qualité de la langue que vous maitriserez. Dans cette veine, la présentation Tedx de Marc Green pointe des éléments finement perçus, la dimension idiomatique se love dans la prononciation, les registres familiers et les attitudes culturelles.
Trois cimes sont d’ailleurs à identifier pour déterminer les limites de l’acquisition d’une nouvelle langue : l’humour, parce qu’il joue avec les contenus culturels les plus riches et récents, les associations les plus créatives liées à la langue et ses possibilités de jeu de mots. Les échanges par téléphone aussi sont une belle barrière à travailler. Le manque d’interaction en face à face vous coupe d’une partie importante de l’information, limite certaines portions vocales et vous force à repérer les accents toniques clés à employer pour se faire comprendre. Enfin, manier divers registres émotionnels dans une autre langue, savoir par exemple se mettre en colère de manière crédible et en employant l’argot pertinent constitue une autre frontière. Il faut s’y confronter pour mieux armer sa langue. Une fois ces exercices pratiqués et validés, votre niveau aura forcément fait un bond.
Un autre escalator pour la pratique d’un langage revient à commencer à mesurer et à faire certifier votre niveau de maitrise comme le dit l’adage en sociologie, tout ce qui est mesuré à tendance à s’améliorer, c’est un autre vecteur qu’il faut mobiliser.
C) Des activités qui immergent dans cet univers
Dans les activités intéressantes pour le processus d’acquisition d’une autre langue, on peut donc s’essayer aux différents tests standardisés. TOEFL et TOEIC sont devenus des références pour l’univers académique et professionnel de langue anglaise. Malgré des limites inhérentes à toute standardisation (manque de nuances et de personnalisation), ils permettent néanmoins d’identifier clairement des besoins de progrès dans un versant ou un autre du processus de maitrise de la langue (écoute, prononciation, lecture, écriture). On peut objectiver son progrès sur des mois voire des années, établir des objectifs réalistes et les atteindre. Ne serait-ce que le découpage désormais institué à l’échelle européenne, de A1 à C2 vous permettra de mieux vous situer. C’est un point de départ utile pour orienter votre cheminement et votre dose de travail régulière pour arriver au niveau désiré.
En sus, il faut bien sûr redoubler ces activités par les plus engageantes et celles qui vous feront baigner dans des univers imprégnés par la sphère culturelle cible. On peut penser au squash et au golf pour l’anglais, aux sports de combat pour la sphère japonaise.
Le niveau le plus intéressant sera tout de même de pratiquer l’immersion dans un univers totalement régi par cette langue. Un séjour touristique est un bon début, le voyage avec but scolaire ou professionnel, plus long, plus exploratoire, reste le plus important vecteur d’apprentissage. À la manière du principe en architecture qui dicte que la forme suit la fonction, le fait d’avoir l’obligation de communiquer dans la langue d’apprentissage stimule la plasticité de votre cerveau, le besoin de s’exprimer au quotidien dans une autre langue pour se faire comprendre, coopérer et exister, tisse des empreintes neuronales fortes. Des sillons qui seront toujours latents, possible de réactiver ensuite. Un capital qui pourra vous aider à pratiquer la langue de manière fluide, sans blocage ou consommer trop de ressources cognitives. Cela prépare l’accès au graal de la pratique d’une langue : une maitrise fluide et courante du langage.
En somme, il faut retenir les trois piliers sur lesquels se reposer pour augmenter son apprentissage d’une nouvelle langue : cultiver l’intérêt pour son acquisition, avoir des données objectives très claires sur les gains qui vous attendent. Les locuteurs, les espaces, les contenus et la richesse à découvrir dans leur version originale. Cela vous fournira la motivation et l’endurance pour arpenter un chemin qui se poursuit plusieurs années durant. Ce voyage continue en réalité toute la vie. Chaque langue humaine est un trésor inépuisable, à part lorsqu’elle se perd car elle n’est plus usitée. Chacune continue par ailleurs d’évoluer avec la créativité et les changements adoptés par ses locuteurs. Bon point pour vous, en apprenant des langues rares vous luttez contre l’extinction du patrimoine immatériel de l’humanité. Ensuite, il faut à tout prix surmonter la honte et le blocage que cause la non maitrise attendue pour un adulte du langage. Ce sentiment de minorité peut notamment être apprivoisé en trouvant des relais protecteurs et bienveillants (un professeur, des amis, un conjoint, un tandem…). Ce relai est à mettre en parallèle avec la recherche d’une exposition quotidienne et immersive au contenu idiomatique de la langue. C’est le troisième pilier de cette démarche, il faut s’exposer par de multiples vecteurs réguliers à ce nouvel univers de sens. Le plus simple consiste à explorer du contenu culturel en version original, le plus abouti revient à s’immerger entièrement lors d’un séjour touristique, scolaire ou professionnel. La cible ici est clair, repérer et acquérir les schémas idiomatiques de la langue. Il faut les répéter comme des katas pour les faire siens. Plus rapide est l’acquisition des formes nouvelles, plus solides et automatiques se feront l’emploi et la restitution de ces savoirs dans le langage courant.
C’est d’ailleurs la finalité, atteindre un niveau courant, capable d’interagir avec aisance et fluidité dans une nouvelle langue. La bonne nouvelle consiste à découvrir que plus on apprend de langues et plus le processus pour ce faire s’améliore. Un bon culturel avec une langue très différente est d’ailleurs une astuce à garder en tête pour rendre les langues cousines plus facilement assimilables. Après avoir découvert les spécifiés du japonais (dessiner 3 nouveaux alphabets, comprendre le fonctionnement des particules) reprendre la route vers l’espagnol paraissait plus facile.
Dans la même veine, un ultime arcane pour progresser dans un nouveau langage revient à se mettre au défi, à tenter des activités juste au-dessus de son seuil actuel de compétence : après quelques séances de conversations, essayer d’en tenir une même courte avec un locuteur natif au téléphone. Dans une phase d’apprentissage de la lecture, on peut s’attaquer à un texte original, de la littérature classique, forcément plus dense et riche en vocabulaire que ceux des manuels ou encore passer directement à essayer de suivre une série en version originale sans sous-titre puis revenir à ceux-ci après quelques tentatives sans béquilles. Revenir ultérieurement à ce niveau pour mesurer le progrès accompli, comment votre cerveau se met progressivement à mieux cerner cette nouvelle mélodie du langage.
Dites-vous d’ailleurs que vous pourrez d’autant plus vous faire relai pour d’autres personnes et enrichir votre propre langue en tentant des hybridations venues d’ailleurs. C’est ainsi que les langues évoluent et s’enrichissent en volant et en inspirant, en trouvant sur leurs frontières de plus en plus de contrebandiers qui proposent des traductions potentielles de contenus idiomatiques sur le marché du langage.
Rechercher cet effet cumulatif réserve la chance d’amplifier sa palette de peintre pour décrire le réel, créer de l’art ou en découvrir. C’est une ouverture de l’esprit, accéder à de nouveaux patrimoines. Apprendre au moins deux langues éviterait beaucoup de conflits et peut-être même des guerres. Le rapprochement franco-allemand doit beaucoup au traité de l’Élysée 1963 et son volet télévisuel, l’avènement d’une chaine bilingue. En dédoublant sa langue on enrichit aussi une partie de son identité. C’est un gain cognitif important, une forteresse supplémentaire pour la mémoire notamment sa forme sémantique. Selon certaines recherches, l’apprentissage d’une autre langue protège de l’arrivée précoce de la maladie d’Alzheimer, pour d’autres cela produit des gains de performance en matière de résolution de problèmes.
Outre ces gains cognitifs, une nouvelle langue rend conscient d’une autre manière de voir, d’enrichir son interface pour comprendre et se représenter l’univers. Quelle prometteuse source supplémentaire de pouvoir cognitif. Cette matrice culturelle constitue une très belle manière d’étendre et de faire perdurer notre humanité.
À vous désormais d’y contribuer, quelles sont, selon vous, les meilleures manières d’acquérir une autre langue ?
Bourdieu P., 1982, Ce que parler veut dire, économie des échanges linguistiques, Paris, Fayard.
Goffman E., 1959, The presentation of self in everyday life, Anchor.
Quelques vidéos intéressantes sur le sujet :
Green M., 2018, How to Talk Like a Native Speaker, TEDx Heidelberg,
Lonsdale C., 2013, How to learn any language in six months, TEDx Lingnan University, https://www.youtube.com/watch?v=d0yGdNEWdn0
Wyner G., 2017, Why We Struggle Learning Languages, TEDx New Bedford, https://www.youtube.com/watch?v=iBMfg4WkKL8